Elf – Main Titles

Cité l’année dernière lors du Calendrier de l’Avent (dont l’édition 2023 commence aujourd’hui, d’ailleurs), Elfe (Elf en VO) est devenu en 20 ans l’un des véritables classiques de Noël. Les pérégrinations de Buddy, l’elfe géant incarné par Will Ferrell, à travers les rues de New York sont désormais iconiques.

Mais concentrons-nous sur la musique de ce film et plus particulièrement de son compositeur. John Debney est l’un de ces musiciens qui s’efface derrière les films qu’il met en musique. Homme de l’ombre avant tout, il n’a pas la popularité d’un John Williams ou d’un Hans Zimmer. Son nom ne ressort presque jamais dans les médias et le commun des mortels ne le connait pas. Et pourtant, en plus d’Elfe, il en a fait, des bandes originale restées cultes. Tout d’abord en 1993, avec Hocus Pocus (un autre film culte, mais de Halloween, cette fois), Menteur Menteur (pour lequel il rencontre Tom Shadyac, qui ne le quittera plus et dont il composera également les BO de Dragonfly ou Bruce Tout Puissant, pour ne citer que ceux-là), Souviens-toi l’été dernier (un film d’horreur également devenu culte), ou encore La Passion du Christ (encore un film… culte. Oui, j’ai osé). On pourrait donc presque le qualifier de compositeur abonné aux films de fêtes, mais il n’en est rien.

Une complexe simplicité

John Debney est de ces compositeurs qui arrivent une fois que le film est tourné. Selon ses propres dires, il « déteste être sur un plateau de tournage. Il faut environ 5 heures juste pour allumer des trucs ». Quand son agent l’appelle courant 2003 pour lui proposer de travailler sur un film de Noël au sujet d’un homme adulte qui se prend pour un elfe du Père-Noël, il se dit que ça pourrait être intéressant. Surtout que le film met en scène Will Ferrell. Il rencontre alors le réalisateur Jon Favreau, jeune acteur qui se lance gentiment dans la réalisation, arrivant avec un film déjà monté et sur lequel se trouve une temp music (une musique temporaire, procédé très souvent utilisé à Hollywood). En quelques jours, Debney compose un thème, contacte son éditeur musical et proche ami Jeff Carson, qui se trouve être un excellent siffleur, et lui demande de venir au studio pour enregistrer une demo. C’est ainsi qu’est née l’idée d’utiliser un siffleur sur la musique du film. Mais pourquoi s’arrêter à une personne quand on peut faire siffler tout un choeur ?

Nous trouvons donc dans ce thème les instruments habituels de l’orchestre symphonique, additionnés des traditionnels grelots que l’on retrouve dans quasi chaque BO de film de Noël, d’un celesta et d’un choeur mixte. Le thème principal est composé dans une gamme de Si bémol majeur, en C barré. Ce thème se décompose en fait en 2 parties. La première partie est le thème principal, dont la mélodie est chantée par le choeur sur un texte fait de « bum bum » pour donner au film une sonorité naïve, presque enfantine. La deuxième partie est en fait le thème de Buddy, le personnage de Will Ferrel.

La musique parait simple, mais détrompez-vous, ce n’est qu’une impression souhaitée par le compositeur. En effet, si la musique semble enfantine, ça n’est rien de moins qu’un leurre. Elle est complexe, riche, truffée de détails recherchés. En fait, elle est le parfait opposé de ce personnage de Buddy, un adulte qui aurait gardé l’esprit et la naïveté d’un enfant. Ce thème reflète plutôt l’adulte qui sommeille en chaque enfant, déjà avec toutes ses émotions, sa complexité, son caractère.

En 1 minute 46, ça fait déjà pas mal de choses à raconter. On y va ?

Et si on l’écoutait ?

On démarre sur un tempo de 100bpm pour quelques mesures, avec le celesta et les chimes (percussions toutes fines qui scintillent un peu comme des étoiles) et les seconds violons en pizzicato. Ils sont très vite rejoints par le glockenspiel qui nous joue les quelques célèbres notes de Jingle Bells, alors que le basson nous offre un court ostinato de deux notes crochées. Egalement le choeur, sur une tenue en vocalises, les premiers violons sur un tremolo, une descente au piano et, bien sûr, les grelots. On continue avec un rallentando (la musique ralentit), sur deux notes jouées au contrebasson. On n’en est qu’à 15 secondes et, pourtant, Debney, par son orchestration aux allures simplistes, nous a déjà transporté dans la magie de Noël.

On entre dans la première mélodie, un peu plus lente que l’introduction. Il s’agit ici du thème de Buddy, le héros de l’histoire, chanté par un petit choeur (je me demande même si ça n’est pas juste un quatuor) sur un texte extrêmement simple : une succession de « bum ». Ils sont doublés par les cordes en pizzicatos (une technique très répandue qui consiste à pincer les cordes avec les doigts de la main droite au lieu d’utiliser l’archet) et toujours les grelots qui donnent le rythme. Puis le glockenspiel s’ajoute et permet à deux solistes, un violon et un alto, de se faire une place. Une nouvelle descente de piano, accompagné des voix et du wood-block qui donne ce son ressemblant aux sabots d’un cheval ou d’un renne. Le thème se poursuit avec l’entrée du trombone et des flutes, très vite rejoints par le basson et le choeur (cette fois dans son ensemble et en vocalises). On termine cette partie par des chimes.

Petit accelerando au celesta, accompagné des altos, toujours en pizzicato. Le hautbois se joint à eux pour monter en crescendo et repartir sur un tempo presque deux fois plus rapide. On entre alors dans le thème principal du film où tout s’emballe. L’orchestre est désormais complet. Le choeur cesse les vocalises pour se mettre à siffler (chose extrêmement rare dans les choeurs), alors que le quatuor continue de chanter sur des « bum ». On peut également entendre des cloches tubulaires. Une petite transition par les trompettes et la harpe et on monte en intensité en reprenant ce thème une tierce plus haut et en accélérant encore un peu le tempo. Les cordes reprennent enfin leur archet pour doubler le choeur. Les trompettes se font plaisir sur une petite ligne mélodique puis la musique ralentit subitement, créant un sentiment d’attente… on reste sur notre faim et, heureusement, car ça n’est pas terminé.

Après un petit moment de pause, on revient au thème de Buddy, à son rythme lent, accompagné cette fois par le basson, sur une très jolie mélodie où il prend presque toute la lumière. Du moins celle que le quatuor veut bien lui laisser. On profite encore d’une petite descente jouée par les contrebasses et les violoncelles, avant de conclure sur un accord en tenue, joué par les cordes, le choeur, les flutes, les chimes et le celesta. Et voilà, ça se termine comme ça, en suspension. Après tout, il y a encore toute une histoire à découvrir, tout cela n’était que le générique et vous ne connaissez pas encore Buddy… enfin, pas complètement.

Et dans tout ça, qu’est-ce qu’on retient ?

John Debney nous offre ici toute l’étendue de ses compétences. Des compétences de mélodiste d’abord. Les mélodies sont effectivement riches. Il ne se contente pas de créer une mélodie qui tient en deux mesures, mais plusieurs mélodies différentes et pour plusieurs instruments différents. Ensuite, il nous prouve son talent pour l’orchestration. La partition est tellement bien écrite qu’on peine à repérer tous les instruments. Et pourtant, ils sont tous là : cordes, clarinettes, piccolos, cors, tuba, timbales… et tous ont suffisamment de matière pour s’amuser. Il ne se contente pas d’écrire une ligne de tuba juste pour que le musicien fasse acte de présence. Il donne de la nourriture musicale et sait comment utiliser chaque registre, chaque instrument, sans chercher à faire dans la simplicité. Et pourtant, sa musique semble l’être, simple. Il nous prouve également sa capacité à créer une musique qu’on retient et qu’on reconnaît, sans pour autant se mettre en avant. J’ai toujours dit qu’une bonne musique de film sait se faire oublier, tout en restant mémorable. On l’entend, on la retient, mais durant le film, on ne la remarque pas. John Debney me donne raison avec Elf tant il s’avère être un maître en la matière, en digne héritier de Jerry Goldsmith (NDLR: Goldsmith était le héros de Debney, selon ses propres dires… et c’est Goldsmith lui-même qui a choisi Debney pour achever la bande originale du dernier film sur lequel il a travaillé avant de mourir : Les Looney Tunes passent à l’action).

Si Elf n’est pas la quintessence de la musique de film de Noël, il s’en rapproche énormément.

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