Si la vie est un long fleuve tranquille, la mort est un rollercoaster. Du moins d’après le réalisateur Tim Burton. Sérieusement, si vous en doutez, vous n’avez qu’à voir sa filmographie pour vous en rendre compte… Les Noces Funèbres, Frankenweenie ou encore Dark Shadows en sont les parfaits exemples : chez Tim Burton, le monde des morts semble plus vivant que celui des vivants. Evidemment, Beetlejuice n’y fait pas exception. C’est peut-être même l’exemple ultime !
Indissociable de Tim Burton, le compositeur Danny Elfman a choisi de prouver cette « rollercoaster-attitude » de la mort par une musique carnavalesque pour ce film de fantômes sorti en 1988.
Y a-t-il une vie avant la mort ?
Danny Elfman n’est pas un compositeur de musique de film comme les autres. Il n’a pas fait une grande école de musique (ni même une petite), n’a pas étudié le cinéma, ni la musique classique, ni l’orchestration, ni même la composition à vrai dire. Non. Sa carrière musicale démarre à 18 ans lorsqu’il quitte son Los Angeles natal pour Paris et rejoint son grand frère, Richard, qui joue du violon dans une troupe de théâtre/cirque/cabaret. Ensuite, il voyagera en Afrique durant une année et y développera une passion pour les musiques africaines et, surtout, les percussions.
De retour à Los Angeles, il rejoint Richard (lui aussi de retour au bercail) dans son groupe de new wave, The Mystic Knights of Oingo Boingo, dont il deviendra le leader après le départ de son frère. Rebaptisé Oingo Boingo, le groupe acquiert une renommée nationale aux Etats-Unis. Tant et si bien qu’il est repéré et invité à écrire la musique du film Pee Wee’s Big Adventure par… Paul Reubens, acteur et producteur du film. C’est lors de cette mission qu’il rencontre le jeune Tim Burton. Une longue amitié s’installera entre les deux hommes, scellant ainsi le destin de Danny.
On peut donc dire de Danny Elfman qu’il est un self-made-man comme on en trouve peu. De lycéen, il devient artiste de cabaret en France, puis percussionniste en Afrique, puis musicien dans un groupe de new wave, puis leader/auteur/compositeur/interprète, puis, finalement, compositeur de musique de films. Peut-être une belle leçon à en tirer : peu importe d’où tu viens, tu peux toujours devenir ce que tu veux !
Avant l’écoute
Main Titles, le titre du thème principal, est la version anglaise de « générique de début ». Il est composé sur une gamme de la mineur. Son orchestration est déjà inattendue : premiers et seconds violons, altos, violoncelles, contrebasses, 2 flutes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, 3 trompettes, 2 trombones ténor et 2 trombones basse, 4 percussionnistes. Jusque là, rien de très étrange. Mais il utilise également 3 tubas, 2 harpes, 3 pianos, alors que d’habitude, il n’y a qu’un seul exemplaire de chacun de ces instruments. S’ajoute à ces instruments un choeur en vocalises et aux sonorités particulières.
Il donne à sa musique une sonorité de fête foraine, très joyeuse, limite comique, mais pourtant, une certaine noirceur plane toujours dans l’accompagnement musical. On y retrouve ce qui deviendra au fil des années le style iconique d’Elfman, ses sonorités dissonantes, sa rythmique folle, ses choeurs éthérés.
Et si on l’écoutait ?
On commence par un ostinato au steel drum et au piano, sur 4 notes ascendantes, accompagné par des cymbales frottées (son inhabituel, produit par le frottement d’un archet sur la tranche de la cymbale). Puis le glockenspiel joue quelques notes du Day-O de Harry Bellafonte (chanson reprise plus tard dans le film pour une scène devenue mythique). Un premier coup de percussions puis un choeur (où toutes les voix sont interprétées par Elfman himself) chante la suite de Day-O. La harpe fait son entrée en reprenant l’ostinato du début (qui ne s’est encore pas interrompu) pendant que les tubas font leur entrée sur deux notes tenues. Le piano et les trombones basses apparaissent furtivement, puis retour des tubas. Le piano et les trombones basses ressurgissent en esquissant le thème du film, alors que l’ostinato est toujours présent, puis c’est au tour du choeur (cette fois, le vrai, pas celui ajouté par Elfman) de faire un glissando, tout en apportant une touche dissonante.
L’ostinato s’interrompt sur un coup de tambourin, pour laisser la place à deux pianos en léger décalage, jouer la basse, accompagnés par les trombones basses et un nouvel ostinato, joué cette fois par le tambourin. Ensuite, les trombones ténors surviennent, en staccatissimo et à contre-temps et, enfin, après 58 secondes d’introduction, les cors font leur entrée en jouant le thème du film. Les violons jouent alors leurs premières notes, en nous faisant faire un tour de grand huit, avant de nous embarquer sur des notes de country. Retour du thème avec nos amis les cors, retour sur le grand huit « violonnesque ».
Petit moment de pause, sur l’ostinato des tubas et nouveau tour de parc d’attraction avec des violons survoltés et des trompettes stridentes. Elfman nous offre ensuite un duo de clarinettes, entrecoupé de trilles jouées par les flutes.
Descente chaotique des instruments puis roulement de tambour avant d’enchainer sur le deuxième thème, joué à l’unisson par les cuivres, pendant que les cordes s’activent. Les trompettes s’en donnent à coeur joie. Le thème continue, toujours avec les cuivres et le choeur s’invite avec des vocalises pour une apothéose endiablée.
Les harpes reprennent leur ostinato du début, sur des staccatissimo des tubas et des trombones. Un cor nous propose une dernière note tenue, un peu comme en écho et, à nouveau, une cymbale frottée.
Et dans tout ça, qu’est-ce qu’on retient ?
Danny Elfman était encore un débutant en musique de film à l’époque où il a travaillé sur Beetlejuice. C’était là sa deuxième collaboration avec Tim Burton et son sixième long-métrage en tout. C’était aussi sa plus grosse production jusque-là. Autant dire qu’il avait un peu la pression. Il a d’ailleurs failli refuser de le faire, à cause de ça. Mais au final, il l’a fait et, par la même occasion, nous a offert ce qui reste, selon moi, l’un des meilleurs thèmes de sa carrière. L’un des plus célèbres, également.
On retrouve déjà dans ce thème le style si reconnaissable de Danny Elfman, en pleine forme et particulièrement inspiré, à la fois sombre et festif, à la fois gothique et coloré. En somme, un parfait mélange entre l’absurde et l’horreur de ce film absurde… et d’horreur.