Cri-Tique : Madame Doubtfire

Quoi de mieux qu’une comédie familiale pour se détendre et rire un peu ? Un classique, évidemment ! 

Mais alors, pourquoi ce rire parfois un peu jaune ? La mécanique bien huilée se gripperait-elle quand on y regarde de plus près ? Le cas de Mrs Doubtfire est là aussi un classique du genre. 

Tout le monde connaît ce film, mais néanmoins, résumons. Daniel Hillard (Robin Williams) est un comédien dont la carrière ne se développe pas bien, mais surtout un père de famille qui, s’il adore sa femme Miranda (Sally Field) et ses enfants, a fait échouer son mariage après avoir épuisé la patience de son ex-femme avec sa trop grande immaturité. Divorcé, il se retrouve privé de ses enfants et, sa femme cherchant quelqu’un pour les garder pendant qu’elle travaille, invente un personnage de respectable gouvernante anglaise pour pouvoir passer du temps auprès d’eux, incognito. Après quelques péripéties qui le feront enfin grandir, il retrouvera non seulement sa place de père, mais aussi sa place d’acteur grâce à une émission où il incarnera Mrs Doubtfire sur le petit écran. 

La bande-annonce de Madame Doubtfire (en VF)

Le succès du film doit évidemment énormément à la performance de Robin Williams, véritable génie du comique de situation qui n’a pas hésité à improviser durant le tournage pour nous offrir certaines des scènes les plus cultes du film (le « masque » à la crème qui tombe dans le thé n’était pas prévu par exemple). Les autres acteurs ne sont pas en reste, y compris les enfants qui sont tous les trois vraiment bons. Évidemment, il est facile de s’attacher à ce papa maladroit qui, alors qu’il galère dans la vie, essaye de rester présent pour ses enfants. 

On rit donc des péripéties de ce père contraint de se travestir pour pouvoir voir grandir ses enfants, privés d’eux par leur « méchante » mère qui semble ne pas vouloir le laisser faire partie de leur vie. 

En grattant un peu, on voit sans doute se dégager la problématique des hommes immatures, incapables de gérer leur vie et encore plus celles de leurs enfants sans leur femme (ou leur mère) derrière eux. On voit à plusieurs reprise Daniel jouer les pères-copains avec ses enfants et leur mère rattraper le coup (souvent à coup de chéquier, les artistes n’ont pas le sens de l’argent, c’est bien connu). Raison d’ailleurs du soit disant manque d’humour de Miranda, qui sait bien elle que si les enfants ont besoin de s’amuser, ils ont besoin de plus que ça pour grandir et devenir des adultes équilibrés. Elle a donc épuisé sa patience à force de devoir tout assumer et de passer en plus pour la méchante qui ne veut pas les laisser faire la fête tout le temps. 

Alors Daniel se travesti pour ressembler à la gouvernante parfaite et passer le « barrage » de sa femme et voir ses enfants. Et c’est là que je tique. Nous sommes dans un film comique. On rit de voir Daniel faire du air guitare sur un balais et mettre le feu à sa fausse poitrine en cuisinant. On rit de le voir galérer à s’habiller en femme, on rit… d’un homme travesti en femme, présentée en plus comme repoussante (ah ?) par la réaction de Stuart. Sauf que souvent, on rit de lui-elle et non pas avec lui-elle, et ça, c’est toujours le signe que le rire n’est peut-être pas si adapté. 

Parce que quand même, je ne peux m’empêcher de voir en Daniel un type passablement malsain, en particulier dans ses relations. Que fait-il pour voir ses enfants ? Il manipule d’abord sa femme, bourrant les réponses à son annonce de faux profils tous plus inquiétants les uns que les autres. Il invente ce personnage de gouvernante anglaise stricte pour plaire à sa femme, mais manifestement pas à ses enfants (au début au moins). Au passage, on reprendra bien une petite dose de « seules les femmes peuvent élever des enfants, merci, c’était gratuit ». Il ment, beaucoup, à tout le monde. Alors même qu’on nous le présente comme quelqu’un qui se veut intègre puisqu’il quitte un job dans lequel on lui demande trop de compromis. Il met carrément en danger de mort le nouveau petit ami de sa femme en mettant dans son assiette un aliment auquel il est très allergique (cette scène m’a toujours choquée au passage). Il agit avec son ex-femme comme si elle lui « appartenait », ne tenant aucun compte du divorce et du fait qu’elle a droit au bonheur, même si c’est sans lui. On voit aussi lors de la scène de la révélation auprès de ses enfants que les deux grands sont d’abord blessés de son attitude et de ses mensonges. 

Alors certes, toute cette mise en scène un peu malsaine permet à Daniel de prendre enfin ses responsabilités, de retrouver un travail et de faire la paix avec la fin de son mariage, mais tout de même, qui aimerait réaliser qu’un proche vous a mené en bateau manifestement sur une longue période pour se mêler ainsi de votre vie, que vous le vouliez ou non ? 

On peut aussi y voir une critique, réelle, du problème de la société face à la place du père dans les relations parentales. Un père selon les clichés doit ramener de l’argent et faire régner l’ordre, ce dont Daniel est absolument incapable, contrairement en apparence à Stuart (Pierce Brosnan, le nouveau petit ami de son ex-femme). Un père peut aimer ses enfants mais serait vu comme incapable de s’en occuper correctement tout seul. Ou à la limite, vu comme un héros parce qu’il sera capable de nourrir et d’habiller ses enfants sans téléphoner à leur mère 5 fois. Mrs Doubtfire met donc en lumière, d’une certaine manière, ces pères qui veulent s’impliquer mais que la société renvoie à leur fonction pécuniaire ou à leur soi-disant incapacité dans le rôle, parce que rien ne remplace une mère, ce qui est dit assez explicitement par la juge lors du divorce. Et là, on peut vraiment être en empathie avec Daniel, qui, même s’il a des failles, ne demande pas mieux que de s’occuper de ses enfants et de les rendre heureux en donnant tout ce qu’il a et même plus.

Bref, Mrs Doubtfire, jolie idée d’un père aimant pour ne pas être privés de ses enfants et assumer ses erreurs, démonstration qu’un père peut aimer et s’occuper de ses enfants aussi bien que leur mère, ou manière extrêmement dérangeante de se mêler de la vie de son ex-femme et de ses enfants tout en mentant à tout le monde ? C’est quoi votre point de vue ?

Mrs. Doubtfire (Chris Columbus, 1993, 20th Century Fox)

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