(d’après Pascal Lécureux)
Depuis mon adolescence, j’aime le cinéma, ce n’est un secret pour personne. J’aime le cinéma pour de nombreuses raisons. Par exemple, pour les histoires que les films nous racontent, leur rapport à une société d’hier ou d’aujourd’hui. Pour sa musique, aussi (ma passion pour la musique de film est même venue avant celle pour le cinéma, mais ceci est une autre histoire). Mais l’élément que je préfère, je crois, quand je regarde un film, c’est sa réalisation : les choix esthétiques du réalisateur (ce qui explique ma fascination pour Tim Burton), la direction d’acteur (ce qui explique mon engouement pour les Frères Cohen), la photographie (ce qui explique mon enthousiasme pour Steven Spielberg) ou encore le cadrage (ce qui explique mon extase pour Wes Anderson). Mais s’il est un élément de réalisation que j’aime encore plus que tous ceux-là, qui, dès que j’en découvre un dans un film, m’empêche de rester totalement objectif, c’est le plan séquence.
Qu’est-ce qu’un plan séquence ? Une scène entièrement filmée en une seule prise, caméra en mouvement, qui suit l’action. Dans des plans de ce genre, la caméra danse autour du casting et plonge le spectateur dans une scène prenante et souvent bien plus réaliste que si elle était composée de plusieurs plans. Vous ne comprenez toujours pas de quoi il s’agit ? Les 5 prochains points vont vous en donner une idée plus précise.
NDR : Ce top n’inclut pas de films tournés en intégralité en plans séquences, qui méritent leur propre top (on verra, peut-être un jour)
5. L’impossible miroir – Contact (Robert Zemeckis, 1997)
Un plan séquence beaucoup plus court que les autres de cette liste, mais qui a fait couler énormément d’encre, tant il est particulier.
Une adolescente trouve le corps de son père inconscient. Ni une, ni deux, elle décide d’aller chercher LE médicament dont il a besoin dans la pharmacie. Elle doit se dépêcher, la vie de son père est en jeu. Elle grimpe les escaliers quatre à quatre, court dans le couloir, entre dans la salle de bain et ouvre l’armoire à pharmacie. Rien de bien compliqué jusque-là, on est sur du plan séquence basique, pas long (24 secondes). Mais toute la technique réside dans l’arrivée de la fille devant l’armoire à pharmacie. Car on constate que, depuis le début, on la suit dans le reflet du miroir. Comment a-t-on pu voir le reflet du miroir alors que le personnage était encore à l’étage inférieur ? L’histoire ne le raconte pas. La technique, oui. En fait, le procédé est extrêmement simple : le miroir a été recouvert d’un fond vert et tout ce qu’on y voit est géré en post-production. Simple, mais astucieux.
4. Another day of sun – La La Land (Damien Chazelle, 2016)
La La Land, de Damien Chazelle, s’ouvre sur un plan séquence de 4’17, en mode comédie musicale, sur un tronçon d’autoroute bouchonné, où les interprètes dansent autour et sur les voitures. Les interprètes uniquement ? Non ! La caméra danse également, peut-être même plus que la distribution elle-même.
On commence par un travelling latéral sur des voitures bloquées sur la route, avant d’avancer progressivement vers une jeune femme, au volant de son véhicule, qui commence à chanter. Soudain, elle sort de son auto et se met à danser au milieu des voitures. La caméra recule, montre la réaction de surprise des autres usagés de la route qui décident rapidement de l’accompagner. En quelques instants, une compagnie de danse improvisée se déhanche sur les voies. La caméra se retourne pour montrer d’autres automobilistes qui se mettent également à faire un show digne de Broadway sur les capots (on peut d’ailleurs voir que certains sont abimés par les répétitions et prises précédentes). Et puis la caméra s’envole (d’ailleurs, après toutes ces années, je n’ai toujours pas compris comment cette scène avait été réalisée, si Chazelle a opté pour une grue ou un drone… dans tous les cas, il a bien dû galérer) et survole littéralement l’autoroute pour arriver jusqu’à un camion qu’on ouvre pour découvrir un orchestre brésilien. Là, la caméra, à nouveau posée au sol, recule dans un bain de foule, puis se réenvole pour montrer une bailaora, rapidement remplacée par un street dancer noir, lui-même remplacé par une danseuse de hip hop asiatique. La route appartient à tout le monde, est cosmopolite et il en va de même pour la musique et la danse.
Puis, à nouveau, la caméra tourne sur elle-même en un mouvement ultra rapide pour arriver sur la chanteuse du début, l’instigatrice de toute cette frénésie autoroutière. Et là, ça repart en sens inverse. La caméra défile devant d’autres personnes aux compétences variées (skateboard, hulla-hoop, BMX, parkour) pour terminer sur un plan d’ensemble sur l’autoroute, casting complet sur le toit des voitures. La caméra s’élève encore une fois. Sur les dernières notes de musique, les automobilistes retournent à l’intérieur de leurs véhicules et, au moment de refermer les portières et de retourner à leur vie, le titre du film s’affiche.
Wow ! Quelle intensité, quelle énergie, quelle classe. Comment ne pas apprécier cette scène d’ouverture ?
3. L’arrivée de Karen et Henry Hill au restaurant – Les Affranchis (Martin Scorcese, 1990)
Henry et Karen Hill sortent d’un taxi, traversent la route, descendent quelques marches d’escaliers. La caméra les suit à la trace. Une porte s’ouvre, Henry connaît tout le monde et tout le monde connaît Henry. D’autant plus que, primo, il peut très bien te mettre une balle en pleine tête si tu le contraries, secundo, il vaut mieux lui serrer la pince si on veut son pourboire. On traverse des couloirs, on serre encore des pognes, on rigole avec le quidam, couloir, couloir… Et enfin la cuisine, toute en effervescence. C’est le coup de feu, on court dans tous les sens, ça transpire, on s’engueule, mais Karen et Henry continuent leur traversée tranquillement. On pique un petit carré de chocolat au passage parce que, quand même, c’est pas n’importe qui, Henry. Rigolade avec le personnel, regard plein de fierté à l’intention de Karen et paf ! On entre enfin dans le restaurant. Serrage de pogne avec le patron du resto (c’est un ami) qui lâche tout pour son meilleur client et fait apporter une table, parce que même si le bouge est plein à craquer, on va pas faire attendre Monsieur Hill. Et pour la première fois, la caméra quitte le couple pour suivre la table qui arrive et qui va se mettre au meilleur endroit de l’établissement, celui qu’on ne propose pas à tout le monde, juste à côté de l’orchestre. Encore quelques pognes avant de s’asseoir et se faire, déjà, proposer la meilleure bouteille, par le patron himself.
Scorcese nous offre le meilleur de lui-même, toute sa maestria de direction d’acteur et de créateur d’ambiances. En 2’27, il nous dresse un portrait précis de ce qu’est la mafia italienne implantée aux USA, le tout en une seule prise, avec une simplicité étonnante : un plan à la steadycam. Simplicité ? C’est ce qu’il veut nous faire croire, mais quand on a déjà essayé de faire un plan séquence à la steadycam (et j’ai essayé), on se rend très vite compte que rien n’est simplicité quand on veut « plan-séquencer ».
2. Long take – Panic Room (David Fincher, 2002)
Un plan séquence peut-il être fait en plusieurs prises ? Selon la définition, non. Selon David Fincher, oui. Et il le prouve dans son Panic Room. Ce film est truffé de plans séquences, mais un retient particulièrement l’attention, celui de 2’27 durant laquelle les deux cambrioleurs vont s’infiltrer dans la maison.
Dans ce plan, on part de Jodie Foster, endormie dans son lit. La caméra recule, sort de la chambre, traverse la barrière de l’étage, descend en piqué dans la cage d’escaliers pour se retrouver au rez-de-chaussée. Une voiture arrive à l’extérieur et les deux cambrioleurs en sortent. Ils commencent à explorer l’extérieur de la maison. La caméra entre dans le trou de serrure de la porte, en ressort, repasse devant la fenêtre, traverse le hall d’entrée, puis survole la cuisine, en passant par l’anse de la cafetière pour se retrouver à la salle à manger. On continue de visiter la maison, toujours en restant à l’intérieur (pour rappel, Panic Room est un huis-clos), en passant d’un étage à l’autre en traversant les planchers ou en passant par le faible entrebâillement d’une porte et ce, jusqu’à ce que les malfrats entrent dans le bâtiment.
Faux plan séquence, étant donné que seule une partie du plan est filmée, l’autre est réalisée en images de synthèses. Vrai plan séquence, étant donné que, durant toute la scène, la caméra ne coupe jamais. Ici, la caméra est omnisciente (c’est pas moi qui le dit, c’est David Fincher). Elle n’a plus de personnalité, ce qui lui permet de grandir ou de rapetisser et, ainsi, de s’infiltrer partout, même dans les endroits les plus restreints.
Avec cette séquence, Fincher propose une scène sombre et mystérieuse. La tension y est palpable et tout est fait pour donner au spectateur le sentiment d’être un poisson rouge dans son bocal, sous les yeux du chat. Il sait comment ça va se terminer, mais il ne sait juste pas quand.
1. L’attaque de la voiture – Children of Men (Alfonso Cuaron, 2006)
Alfonso Cuaron est particulièrement célèbre pour ses plans séquences complexes et ultra techniques. Ça n’est pas pour rien et cette scène de Children of Men en est un parfait exemple. Tout ce que vous voyez dans ce plan est réel et a été créé sur le plateau et une machine spéciale a dû être conçue pour les besoins de cette scène.
La scène commence alors que les 5 personnages discutent tranquillement durant un trajet en voiture. La caméra passe d’un personnage à l’autre, sans tenir compte de l’emplacement des autres protagonistes. Un simple trajet en voiture qui va sceller le destin de certains personnages avec échange d’anecdotes, bons souvenirs et même un jeu à base de balle de ping pong (effectivement performé par les interprètes). Puis, une voiture enflammée vient barrer la route et une foule de cascadeurs descend à travers la forêt pour en découdre. La voiture se retrouve encerclée. La foule en furie donne des coups de bâtons, jette des pierres, hurle autour du véhicule. On balance un cocktail molotov, une moto arrive et pourchasse l’automobile. L’un des deux motards braque un pistolet, tire et blesse Julianne Moore au cou. Clive Owen tente de compresser la blessure, mais la moto tente un nouveau tir. Il ouvre la portière pour mettre la moto et ses passagers hors d’état de nuire. Un soubresaut de l’auto explose le pare-brise déjà perforé par le coup de feu. La voiture retrouve une route bétonnée et s’éloigne de l’assaut, Julianne Moore toujours en train de se vider de son sang. Elle meurt entre les bras de Clive Owen et Pam Ferris. Puis la voiture croise 4 voitures de police, sirènes allumées. L’une d’entre elle revient en arrière pour arrêter les fugitifs. La voiture s’arrête et deux policiers tentent d’arrêter les passagers. Chiwetel Ejiofor sort une arme et tue les deux flics.
Cette scène, magistralement réalisée, reste un mystère pour moi, malgré les nombreuses vidéo vues sur sa conception. Tout est fait pour plonger le spectateur dans le feu de l’action. Même s’il n’a pas de siège, il est dans la voiture avec les autres personnages et subit les mêmes assauts. Ce plan séquence, d’une intensité incroyable, n’offre aucune échappatoire. La voiture est un piège en mouvement dont on ne sort pas indemne.