Couronne de l’Avent 2024

La Belle et le Clochard

Réalisateur : Clyde Geronimi, Wilfred Jackson, Hamilton Luske
Scénario : Erdman Penner, Joe Rinaldi, Ralph Wright, Don DaGradi (d’après une histoire originale de Ward Greene)
Musique : Oliver Wallace
Photographie : Claude Coats, John Hench
Avec : Voix originales de Barbara Luddy (Lady), Larry Roberts (Tramp), Bill Thompson (Jock et Bull), Peggy Lee (Darling, Peg et chansons), et Verna Felton (Aunt Sarah)
Produit par : Walt Disney
Sorti en France le 4 décembre 1955, 76 minutes, Comédie romantique, animation

Synopsis : Lady est une jeune chienne cocker qui vit dans un quartier chic de la Nouvelle-Angleterre, au début des années 1910. Là, elle a tout pour être heureuse, câlinée et adorée par ses maîtres, Jim et Darling. Cependant, l’arrivée d’un bébé vient changer le cours des choses: Lady doit se faire à l’idée qu’elle n’aura plus toute l’attention et l’amour de ses maîtres pour elle seule. Mais ce n’était rien comparé à la venue de Tante Sarah pour garder le nouveau né et de ses deux terribles chats siamois qui vont pousser Lady à fuir la maison. Commence alors pour elle la découverte d’un autre monde, qu’un chien errant du nom de Clochard va lui montrer.

Bande-annonce française
Trailer (en anglais)

De quoi parle le film ?

Le film est une histoire d’amour entre un vagabond et un membre de l’élite sociale. Il parle de comment, par hasard, ceux-ci peuvent se rencontrer. Lady, qui ne se serait jamais vue partir de son manoir, est obligée de fuir lorsque les chats de la tante Sarah la martirise. Elle subit une grande injustice, qu’on ressent très fortement en tant que spectateur. Elle retrouve Clochard, qui arrive en héros devant une bande de chiens enragés. Il avait déjà croisé Lady dans son quartier de bonne famille, où Jock et César l’ont vite mis dans sa case de vagabond. Pas vraiment impressionnable, il n’a pas hésité une seconde avant de sauter sur les trois molosses.

Lady apprend beaucoup en côtoyant Clochard. Elle le voit heureux d’être libre, d’être dans sa “misère” qu’il vit avec une telle positivité qu’on ne peut pas le ressentir comme une situation dramatique. Il est positif dans chaque situation et nous montre une nouvelle façon d’aborder la vie.
Leurs deux mondes se heurtent et se mélangent, nous démontrant à la fois leurs différences, mais aussi la facilité qu’ils ont de se comprendre (par exemple, leur instinct de chasseurs lors de la chasse à la poule). Elle le vouvoie, il la tutoie. Une familiarité qui se distingue de la politesse de Lady, acquise dans sa famille de bourgeois. D’ailleurs, comment ça se passe, en anglais ? Parce que c’est bien connu, tout le monde se dit “you”, alors comment marquer cette différence de langage ? Alors que Clochard l’appelle “Princesse” en français, Tramp l’appelle “Pigeon” dans la VO. Dans le contexte anglophone de l’époque, c’est une manière pour Tramp de se montrer décontracté et attentionné, tout en gardant un ton joueur. Leurs accents se différencient aussi. Lady a un parlé neutre et non régional, souvent utilisé dans les films classiques de Disney pour donner une impression de sophistication et d’universalité. Clochard parle un argot américain socialement marqué, utilisant aussi de nombreuses expressions idiomatiques et un rythme plus rapide.

Le thème des différences de classes est souvent traité dans le cinéma, comme dans Vacances Romaines (Roman Holiday), un film aux 3 oscars, réalisé par William Wyler et sorti en 1953, donc deux ans avant. Une comédie romantique sur l’amour impossible entre une princesse et un journaliste, sujet assez proche de La Belle et le Clochard, du moins dans les grandes lignes.

La séquence à la fourrière ne dure pas très longtemps, et c’est pourtant une scène très marquante qui raconte beaucoup. On constate ici une représentation de l’Amérique multiculturelle, avec des chiens stéréotypés russe, mexicain et allemand. La communauté italienne est mise en scène dans la fameuse séquence du souper romantique.

L’injustice sociale est encore une fois bien mise en avant, car Lady n’a pas de soucis à se faire lorsqu’elle est enfermée – en raison de sa situation sociale – alors que Clochard risque directement de se faire abattre si les hommes de la fourrière l’attrapent. D’ailleurs, c’est appuyé par un employé de la fourrière lorsqu’il sort Lady de ce triste lieu:

“C’est pas un endroit pour les jeunes filles de bonne famille.”

Autre réplique qui démontre les aprioris sociaux, celle de Jock lorsqu’il réalise que Clochard a voulu aider Lady et le bébé, et non les attaquer :

“Je l’ai mal jugé, le pauvre. J’ai honte… »

Représentation datée

On ne va pas s’étaler sur la représentation datée des personnes asiatiques, mise en scène par les siamois de la tante Sarah. Après tant d’années, beaucoup s’offusquent car ces clichés ne passeraient plus de nos jours ; mais rappelons-nous tout de même de l’âge de ce film ! Dans la même lancée, on pourrait parler de la place des personnages féminins dans le film. Non je ne parle pas de Darling, qu’on voit tout autant que son mari Jim, mais bien de la protagoniste: Lady. Écrite comme n’importe quelle jeune fille du milieu du 20e siècle, les quelques répliques de Lady traduisent sa naïveté et son innocence, qu’elle renforce parfois en répétant machinalement les phrases de son entourage. Par contre, elle garde une attitude qui la différencie d’autres personnages comme Raiponce, qui fonce la tête la première en se laissant guider par ses émotions, sans se soucier du potentiel danger. Lady, elle, reste calme, réfléchie et discrète ; elle garde une décence qui lui vient de son éducation.

Animation et choix artistiques

Graphiquement, c’est un film évidemment très réussi, qui est encore dans le style des Disney classiques. Ce style changera drastiquement avec La Belle au Bois Dormant en 1959, lançant une nouvelle patte graphique qu’on retrouve aussi dans Les 101 Dalmatiens en 1961.

Les animateurs de La Belle et le Clochard se sont entourés de vrais chiens pour créer les personnages qu’on connaît aujourd’hui. Il a fallu trouver un équilibre pour Clochard, qui était d’abord trop sérieux, ou très humoristique. Le travail des character designers ont donc permis de dessiner un chien charismatique et joueur, tout en lui laissant sa folie, traduite par un poil ébouriffé.

Le design de Lady est ultra-féminisé. Ils ont poussé les curseurs aux extrêmes pour qu’elle soit digne de son prénom. Ses longues oreilles imitent une chevelure luxuriante, et ses courbes douces évoquent le corps d’une femme élégante, évoluant avec grâce.

Sans citer de chiffres, le budget élevé est remarqué grâce à une animation en 1 (un dessin pour une image, donc 24 dessins pour les 24 images-seconde) alors que par exemple les productions à petit budget (séries) sont en 3 ou 4 (1 dessin pour plusieurs images, donc on anime en 12 images-secondes ou en 6 images-secondes). Techniquement, on double le temps de travail quand on passe de 12 à 24 i/s, on peut donc se douter qu’il leur fallait du temps ; et donc de l’argent.
On est surpris par le montage très sec vers la fin du film, entre une scène dramatique (dans le fond et dans la forme) et une scène finale pleine de joie.
Un accident du fourgon de la fourrière, sous une pluie battante, fait craindre la mort de César, un personnage important. Un thème lourd pour un film pour enfants, avec une mise en scène et une musique sombre, qui pourrait très bien tirer une larme à n’importe qui. Et pourtant, on ne s’attarde pas sur César, immobile sous les yeux humides de son ami Jock. C’est sans transition (littéralement) que l’on passe à la scène suivante, qui arrive comme un pavé dans la mare. On présente toute la famille, y compris Clochard, réunie autour du sapin de Noël, avec une portée de chiots. Une théorie plausible est qu’à l’origine, la scène était bien plus longue. Mais les producteurs ont trouvé la scène beaucoup trop triste et ont demandé à couper une partie, pour rassurer les spectateurs et passer directement à la happy end.

Ressenti personnel

Leilani

Je ressens une légère différence entre mon premier visionnage enfant, et le dernier, avec mon regard professionnel. Bien sûr, j’observe les détails techniques ; les cellulos qui glissent sur les décors à la gouache, les choix de cadrages pour une économie d’animation, ou encore les subtilités des émotions sur leurs visages anthropomorphes. Mais les scènes qui me marquent restent les mêmes. Lady qui trempe un donut dans une assiette de café, lors du petit déjeuner avec ses maîtres. Le chant poignant des chiens à la fourrière, accompagné d’une série de plans larmoyants sur des animaux abandonnés. Le rat immense et ses yeux terrifiants, qui escalade la maison pour attaquer le bébé, ainsi que la bataille cachée dans les rideaux, et la blessure. Et l’ambiance festive du début et de la fin du film, représentative du rêve américain, qu’on peut aussi retrouver sur Main Street USA dans les parcs Disney.


Olivier

Je ne sais plus exactement quand j’ai vu le film pour la première fois mais il me semble que c’était lors d’une rediffusion ciné, au début dans les années 70-75. Je voyais probablement une histoire idéalisée qui me plaisait. 30 à 35 plus tard, lorsque je l’ai revu avec mes filles, c’était plus pour les plonger dans le monde merveilleux mais pas très réel de Walt Disney. L’ayant revu dernièrement, le sentiment est différent, au regard de l’évolution de la société : les classes sociales, l’acceptation des différences, les clichés et la place de la femme dans la société.

Anecdotes

  1. Le film a coûté près de 4 millions d’USD. La sortie du film était importante pour Walt Disney, affecté par les mauvais résultats des films Alice au pays des merveilles (1951) et Peter Pan (1953).À sa sortie, le film est le premier long métrage d’animation à être projeté au format CinémaScope. Le film récolte 8,3 millions d’USD en cumulant la sortie de 1955 et la ressortie de 1962, mais la première exploitation a suffi à rentabiliser la production du film
  1. L’instant où Clochard pousse la boulette de viande vers Lady n’était pas présent dans le storyboard original. C’est une initiative de l’animateur Franck Thomas.
  1. De véritables chiens : pour créer ses héros à poils longs, le scénariste Joe Grant s’est inspiré de compagnons à quatre pattes de son quotidien. La jolie Lady n’est autre que sa propre chienne, un cocker américain qui portait le même nom. Clochard lui, est un véritable chien errant recueilli par le studio Walt Disney. Dans la seconde édition de L’Encyclopédie des personnages Disney, l’histoire raconte comment le scénariste Erdman Penner (Cendrillon, Peter Pan, La Belle au bois dormant…) a croisé le chien dans l’enceinte du complexe et a fini par l’adopter afin de lui éviter un sort fatal à la fourrière. Avant de se prénommer Clochard (ou Tramp, en anglais), le personnage Disney a connu plusieurs noms comme Bozo, Rags et Homer.

Le point de vue des chiens : les héros de La Belle et le Clochard sont des personnages à peine plus hauts que les genoux. Les animateurs qui ont travaillé sur le long-métrage ont dû réinventer leur perspective afin de l’adapter à la hauteur des yeux d’un chien. Le monde n’est plus défini par le ciel ou la cime des arbres mais par des pieds de chaises, le tapis au sol ou encore les jambes des humains. Alors que Jim Chéri et Darling sont très peu représentés, tout ce qui est à la portée de Lady est bien plus détaillé. Des maquettes ont été créées afin de rendre compte des dimensions et de la vision des héros canins. Pour connaître la véritable perspective du monde des chiens, des caméras ont été placées dans ces maquettes et ont offert un point de vue unique, plus facile à reproduire ensuite en dessin.

Illustration par G.C. de Pixabay

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